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Le plus beau stade français de la période Art Déco

Écrit le 18 août 2023

Bâtiments publics

Le 12 juin 1938, le maire de Bordeaux Adrien Marquet, déclare : « Aujourd’hui je déclare inauguré le Stade Municipal de Bordeaux et je le place sous la sauvegarde du public ». C’était lors de la troisième coupe du monde de football avec le match Brésil-Tchécoslovaquie, match particulièrement violent, avec fractures, blessures et expulsions, ce que le journal bordelais « La Petite Gironde » du lendemain traduira plutôt sobrement, dans son titre « un match épique dans un stade moderne ». Le stade inauguré ce jour-là est le deuxième stade situé dans le quartier de Lescure, c’est l’actuel stade de rugby de l’Union Bordeaux-Bègles. Appelé Stade de Lescure depuis 1924 ou stade Chaban-Delmas depuis 2003.

Ce stade est situé au milieu du quartier – dit Art déco- de Lescure, qui est une belle entité géographique et historique puisqu’il correspond aux 17 hectares vendus en un seul lot en 1912 par Harriet Scott Johnston. Et lotit entre 1920 et 1940 pour l’essentiel.

En haut à gauche, le trapèze du stade Lescure avec le stade annexe d’athlétisme et sa piste de 400 m. En bas à droite le triangle du remarquable quartier Art Déco. Séparé par la diagonale de l’avenue du parc de Lescure. A  trois heures de la petite place ronde au centre,  le château Lescure dans ce qui reste  de son parc, propriété des Johnston de 1825 à 1912. Ce sont des négociants en vin issus d’une famille à la double origine écossaise et irlandaise. Leur société de négoce viticole est toujours active à Bordeaux.

Remontons jusqu’au XVIIIe siècle : ici c’est la commune rurale du Tondu et l’actuel quartier Saint-Augustin n’existait pas alors. À juste cinq/six kilomètres du centre-ville historique de Bordeaux, c’était la campagne avec de multiples propriétés plus ou moins viticoles, centrées sur leur château , tel le prestigieux voisin Haut-Brion. Les châteaux, ou chartreuses, étaient des villégiatures de chasse ou de plaisir de la bonne société bordelaise pour le dimanche. Le château de Lescure (voir les écrits de notre historien local Francis Baudy sur le sujet) était alors au centre d’une grande ferme polyvalente de 300 hectares : un bourdieu comme on dit ici. Avec toutefois une particularité : son domaine était traversé par le Peugue, petite rivière vigoureuse, aux crues mémorables, dont le débit soutenu avait permis l’installation de multiples lavoirs. Durant deux siècles, les Bordelais firent laver leur linge ici, grâce à une vingtaine de lavoirs successifs. D’où la présence logique dans ce cadre, de l’usine de lessive St Marc le long du Peugue (rue Lecoq), en face de l’arche d’entrée sur le boulevard.

Une branche de la grande famille des Johnson devient propriétaire du château de Lescure, par mariage, en 1810. C’était alors une chartreuse, selon des gravures d’époque. Les 4 frères Johnston y naissent dans les années 1830 dont Nathanaël en 1836. Ils feront reconstruire le château de Lescure actuel, dans le style second empire, et créer une société de négoce viticole avec des chais immenses de stockage rue de Pessac.

Vers 1900, la grande ferme autour de Lescure ne sera plus leur préoccupation principale et les terres qui s’étendaient de la barrière d’Arès à la barrière de Pessac vont être vendues progressivement : pour des lotissements, pour agrandir le cimetière de la Chartreuse ou créer par étape le dépôt de tramways de Lescure par des ventes aux T.E.O.B (tramways électriques et omnibus de Bordeaux) en 1899, 1904, 1905 par exemple. L’actuel boulevard circulaire des barrières, tracé vers 1860, commencera à s’urbaniser du seul coté Garonne à partir de 1880. Un des 4 frères, Harriet Scott Johnston, vendra les 17 derniers hectares, château Lescure compris, le 8 février 1912. Le premier projet de lotissement complet des 17 hectares va être interrompu à cause de la déclaration de guerre en 1914.  Projet repris en 1918 par un consortium de deux entrepreneurs bordelais Darchand et Barlan. Leur projet initial de 700 lots   va être bien perturbé par la présence de la rivière Le Peugue, ses marécages et ses crues. La mairie refusera de le buser aux frais du contribuable et finalement 7 des 17 hectares de la vente de 1912, seront considérés comme inconstructibles.

Plusieurs projets seront alors proposés pour la partie inconstructible, dont un zoo. Mais à l’initiative d’un architecte, invalide de guerre, Robert Hüe, c’est un ensemble sportif sur une base philanthropique, qui va être réalisé vers 1922. À son initiative, une société va se créer pour construire un stade polyvalent centré sur le vélo, sport le plus populaire alors, ainsi que le rugby et l’athlétisme, mais pas de football. 

La construction du premier stade de Lescure va être confié à l’architecte Cyprien Alfred-Duprat concepteur de la maison cantonale de la Bastide. Ce stade vélodrome de 400 m sera inauguré le 31 mars 1924 par un match de rugby opposant Bordeaux à …Bègles ! Il occupait très exactement la place du stade actuel.

Le quartier en 1924, il y a cent ans. Le premier stade de Lescure, celui de Cyprien Alfred Duprat, vient d’être inauguré, le stade annexe n’existe pas, le cours du fleuve Le Peugue est encore visible (canalisé vers 1932). L’avenue du Parc de Lescure avec sa place ronde, commence à se lotir. Juste dessous la place ronde, le chateau Lescure est visible avec un terrain trapézoïdal qui va être morcelé à l’avenir (la rue des Cèdres n’est pas encore tracée). Les maisons ouvrières alignées du lotissement des Téob sont bien visibles. Le parc à 6h est celui de l’ancien Pellegrin bien avant le tripode (l’hôpital actuel de 1977).

D’ailleurs une grande partie des gradins de 1924 vont être conservés dans le futur stade de 1938. Celui de 1924, construit à l’économie, fonctionnel, il n’était pas particulièrement beau. Le but de la société sportive de Robert Hüe n’était pas commercial mais de promouvoir l’activité sportive chez les jeunes dans un cadre quasi gratuit. Il recrutera les moniteurs sportifs des nombreuses casernes alentour pour animer les différents sports proposés ici. La société pensait financer le stade par les paris sur courses payantes de vélo le dimanche. Ce cadre (trop) philanthropique aboutira à la faillite de cette société vers 1930. Elle sera rachetée par la municipalité d’Adrien Marquet qui a souhaité y maintenir la pratique sportive. Adrien Marquet était un admirateur d’Édouard Herriot, le maire très bâtisseur de Lyon. Il a saisi l’opportunité de suivre son exemple en dotant Bordeaux de l’équivalent du magnifique stade Art Déco de Gerland construit par Tony Garnier en 1926 et qui faisait, avec raison, l’admiration de tous les édiles à l’époque.

Adrien Marquet, élu maire en 1925, va imposer courageusement dans la «ville de pierre du XVIIIe» les deux styles nouveaux d’architecture de l’époque : celui des  Arts décoratifs pour la majorité des constructions à venir mais aussi son concurrent le style international. L’agglomération de Bordeaux se couvre alors d’une multitude de réalisations appréciées de tous et restées emblématiques de la période hygiéniste de l’entre-deux-guerres : le tri postal (1928), le théâtre de la Pergola à Caudéran (1928), la piscine de Bègles (1932), l’aéroport de Mérignac (1933) si caractéristique par sa belle rotonde vitrée (détruite), la très remarquable piscine Judaïque (1934), un marché-abattoir (1936), la bourse du travail (1936) de multiples écoles, des bains douches, des crèches, une cité universitaire, des squares et le plus important de tous, un nouveau stade à Lescure. Apparaît aussi à cette époque l’habitat social, les Habitations à Bon Marché, avec de multiples réalisations soigneusement mises en avant à chaque nouvelle élection. Le confort moderne est proposé au plus grand nombre soit : la cuisine (eau, gaz), la salle de bain et les toilettes dans chaque appartement. La cité Frugès de Le Corbusier (1926), est un exemple d’habitat avec confort moderne destinée aux ouvriers.

L’esthétique Art nouveau, celle des années 1900 n’a pas séduit les Bordelais. À l’inverse un des deux styles nouveaux des années 1920, l’Art déco aura ici un grand succès. Les monuments et les maisons individuelles empruntant le vocabulaire du style Art déco se multiplient à Bordeaux :1000 ? 2000? parfois en quartiers entiers homogènes comme dans le triangle Lescure jouxtant le stade ou bien dans la rue du Commandant Charcot, à la place des chais Johnston. 

Pour son nouveau stade, Adrien Marquet va faire confiance à Raoul Jourde, un architecte bordelais novateur, formé par les frères Perret et à Vienne chez Joseph Hoffmann. C’est un adepte du « tout béton » du style international illustré par Le Corbusier, Pierre Patout et Mallet-Stevens. Il avait déjà construit en 1933, en plein centre-ville historique, l’ultra moderne régie municipale du gaz et de l’électricité, au prix d’une belle polémique qu’il serait amusant de raconter tant elle se renouvelle comme un avatar de la querelle des anciens et des modernes. L’audace et la nouveauté déchainent toujours des passions contradictoires (Tour Eiffel, Pompidou, pyramide du Louvre) avant que l’habitude apaise. Adrien Marquet rêve d’un stade prestigieux pour sa ville comme le furent les trois autres grands stades Art déco français : Gerland à Lyon, le stade vélodrome de Marseille (copie du stade olympique de Berlin), et le Stadium de Toulouse dans l’île du Ramier. Le 2e Parc des Princes de 1933, ne figure pas à ce tableau d’honneur car il ne fut pas construit dans un style très remarquable! Et le modèle Gerland, le plus beau, a été depuis plusieurs fois transformé, mutilé et finalement dénaturé par un aménagement rectangulaire avec 4 tribunes couvertes qui ont fait disparaître la très jolie ellipse du stade Art Déco d’origine. De même, seul le nom est resté au stade vélodrome à Marseille, multi-transformé lui aussi. 

Jourde va rendre sa copie en 1934. Son stade sera polyvalent comme tous les stades de l’époque (vélo, athlétisme, rugby, le football ne reviendra ici que bien plus tard vers les années 50). Son projet est très original, ne ressemblant pas aux autres stades généralement composés de 2 tribunes couvertes, face à face, reliées par des virages découverts (cf stade Yves du Manoir à Colombes 1924 ou même le Gerland de Tony Garnier). Ici, tout le stade sera couvert grâce à l’idée innovante d’une petite voûte fine en béton, le voûtain.

L’innovation technique principale est que cette voute fine va etre coulée en béton liquide dans des coffrages. Cela parait très banal aujourd’hui de couler du béton dans un moule pour lui donner la forme que l’on veut. En 1934 on utilisait certes déjà le béton, mais en parpaing, comme une pierre, pour monter un mur. Aucun entrepreneur français n’était, à l’époque, capable de couler du béton liquide dans un coffrage, Jourde a dû faire appel à une société italienne. Cette toiture courbe en voile de béton est une première francaise, mondiale ? Elle sera vite imitée ailleurs. Elle va permettre de couvrir l’intégralité des places des gradins par un très important porte-à-faux de 20 m en tribune, sans avoir besoin du moindre pilier de soutien au milieu des tribunes de spectateurs. À comparer avec l’aspect du Parc des Princes n°2 construit en 1933, qui était un véritable mécano de poutrelles métalliques soutenant la voûte en tôle ondulée appuyée sur de très nombreux piliers en tribune. La solution technique choisie par Jourde à Bordeaux, un stade entièrement en béton avec une voûte portée par un grand porte-à-faux sur béquille, était techniquement très osée pour l’époque.  Jourde fait appel à un ingénieur italien, Egedio Dabbeni qui maîtrisait la technique du voile de béton. Il faut dire que l’Italie de Mussolini était alors en plein boom constructif. Ce voile fin était réalisable seulement grâce à la technique non alors utilisée en France, celle du béton injecté sous pression dans un coffrage étanche. Cette technique permettait de réaliser une voûte tellement fine, qu’elle laissait même un peu passer la lumière comme on peut s’en rendre compte sur les photos prises à l’époque de la construction. Transparence relative et visible avant que le voile de béton ne soit recouvert de bitume pour l’étanchéité. La stabilité de l’ensemble est assurée par un double cintrage du voûtain en large et en long s’appuyant sur de solides nervures. La répétition des voûtains permet en plus un rendu esthétique surprenant : la voûte ondule.  Le béton n’est pas brut, mais lisse, et bien traité en surface il ne grisonne pas 85 ans après sa construction. Ce stade tout béton technique, sans décoration ajoutée est de style international donc, pas Art déco comme il est ecrit partout y compris sur l’arrêté d’inscription préfectoral. Beaucoup confondent style Art déco et période historique Art déco (1918-1940). Et il a été voulu très beau, Jourde, comme Le Corbusier ou Mallet Stevens, voulaient prouver que le béton peut être beau. Constat qui ne va pas de soi, à Bordeaux, la ville de pierre. Lescure c’est donc une technologie innovante tout béton, permettant un magnifique rendu esthétique. L’immense intérieur du stade est libre à 360°. C’est ce qui frappe toujours aujourd’hui le visiteur qui y entre aujourd’hui.

Un  travail du Professeur Coustet, faisant suite à une trouvaille d’archives sur une brocante, nous permet de connaître le modèle de l’inspiration de Raoul Jourde pour Lescure : c’est le stade de Pier Luigi Nervi à Florence, de 1931, avec une unique tribune couverte mais tout en béton, toit et piliers. Grâce à une entretoise audacieuse que l’architecte a breveté. Le rendu esthétique final était un peu monotone. Ce que Jourde avait remarqué et qu’il va  palier en faisant onduler le bord du toit. Mais aussi avec  des voûtains arrondis, aux arrêtes saillantes des travées et au rattrapage des hauteurs des voûtains entre les virages et les tribunes, par les postes de vigies devenus très emblématiques de notre stade.

Le voile de béton utilisé par Jourde ondule partout : courbes, arrondis, cintre et même croisées d’ogives dans les galeries de circulation. L’idée si innovante de Jourde en 1934, les voûtains permettant de se passer de pilier, devra pourtant être améliorée techniquement par l’architecte-ingénieur italien Egidio Dabbeni qui en réduira la largeur de moitié et intercalera même en plus, des raidisseurs pour assurer leur stabilité. Dans le demi-cercle d’un virage, on est passé des 16 voûtains initiaux de Jourde aux 32 réalisés par Dabbeni. Après 80 ans, cette solution technique innovante, qui avait tant inquiété le comité d’architecte chargé de suivre les travaux du stade, n’a manifesté aucune faiblesse structurelle. Les seuls problèmes rencontrés tiennent à l’oxydation des ferrailles de l’armature du béton. Avec le risque de faire éclater le béton des fines voûtes Les ferailles viennent d’être traitées récemment.

La solution du voûtain pour couvrir les stades est finalement bonne puisqu’en 1972 Roger Taillibert la reprendra pour construire le troisième Parc des Princes. A Lescure, nos voûtains sont convexes, les siens sont concaves, mais avec le même rendu esthétique d’animation par ondulation rythmée de la voûte.

Mais le doublement des voûtains a aussi provoqué logiquement un quasi doublement du budget d’origine ce qui entrainera l’éviction de l’architecte concepteur du stade : Raoul Jourde, au début de 1935. Il sera remplacé jusqu’à la fin des travaux par Jacques d’Welles, architecte de la ville, qui était un peu le contraire de Jourde dans la vie personnelle et avec des idées bien plus conventionnelles sur le plan de l’architecture.

Lescure c’est aussi d’autres éléments patrimoniaux comme les 7 magnifiques escaliers « à la Rialto » le seul ajout de Jacques d’Welles au stade de Jourde, et qui permettent de rejoindre, depuis le sol, la galerie de circulation desservant les gradins. Jourde avait imaginé-lui – des escaliers en dégueuloir à travers les tribunes.

La façade arrière de la tribune de face met en valeur la qualité esthétique exceptionnelle de ce stade. Outre la présence de l’escalier « vénitien », on retrouve la répétition des arcades lombardes comme à Chambord, ouvertures répétées sur la galerie de circulation. On y remarque les descentes pluviales rythmées et joliment traitées en pseudo-piliers avec chapiteaux. Et l’arrière incurvé des béquilles soutenant les gradins, forme un nouveau porte-à-faux répondant à celui des voûtains au-dessus. La volumétrie d’ensemble est splendide. Et même les grilles d’origine sont belles !

Autre élément patrimonial, la différence de hauteur des voûtains entre virages et tribunes, est joliment solutionnée par Jourde qui intercale des postes de vigie en forme de rotonde. La rotonde étant forme architecturale permise par le béton et qui va etre très utilisée par les architectes Art Déco.

Ces postes, devenus les emblèmes de ce stade, n’ont jamais eu beaucoup d’utilité car ils sont mal placés tant pour le chronométrage que pour des journalistes-reporters.

Une amusante particularité de Lescure : les immenses et pompeuses plaques d’inauguration en bronze du stade ne comportent pas le nom de l’architecte qui a imaginé et dessiné le bâtiment. Comme si Eiffel avait été éliminé de sa tour. Cela pourrait être rectifié. D’Welles est un peu le coucou de Lescure, son nom figure partout alors que ce stade a été imaginé et concu par d’autres : l’architecte Jourde aidé de l’ingénieur des bétons Dabbeni.

 Si ce stade a été construit durant la période Art Déco, il est lui-même de style international, en béton apparent blanc travaillé en surface, donc pas brut de décoffrage. Ce béton est resté impeccable et n’a pas vieilli en grisonnant ou noircissant comme beaucoup de bétons récents et -bien sûr- sans la moindre décoration ajoutée. Ce sont les décrochements de volumes ou les ouvertures qui animent les facades. Tout à fait dans l’esprit de l’époque, les entrées du stade sont signalées par deux pylônes visibles de loin et une arche monumentale ajoutée par d’Welles en 1938. Cette dernière est agrémentée par quatre colonnes en mosaïque représentant des corps d’athlètes colossaux, créés par  René Buthaud, bien dans le goût maniéré de l’époque. Cette décoration a été ajoutée, après l’éviction de Jourde, à l’initiative de Jacques d’Welles. Elle ne colle pas avec le style international voulu par Raoul Jourde pour son stade.Lescure est à l’inverse des autres stades de cette période, resté presque intact depuis 80 ans. Seuls les gradins ont été agrandis en 1986 lors de la suppression des pistes de cyclisme et d’athlétisme devenues inutiles. Mais l’architecte Guy Dupuis (1927-2020) a réussi le tour de force de le transformer, de faire disparaître les deux pistes, d’agrandir les gradins en rapprochant les spectateurs du terrain, mais en magnifiant encore les perspectives et l’esthétique d’origine du stade. Car dans les virages, Guy Dupuis a recréé l’esthétique en hémicycle du théâtre d’Épidaure, mais traitée avec une pente plus douce. Notre beau stade a d’ailleurs été pris pour modèle des grands équipements sportifs de la période 1920-40 à la cité de l’architecture et du patrimoine du Palais de Chaillot (ex musée des monuments français). Gerland, le stade vélodrome de Marseille, le Stadium de Toulouse n’ont pas eu cette chance, avec le temps leurs transformations ont été des mutilations. D’autres modifications ont eu lieu en 1998 pour la coupe du monde de football, essentiellement dans le stade annexe par création de deux bâtiments pour les services de presse (architecte A. Moga), qui sont devenus des gymnases depuis. La suppression de toutes les places débout a ramené la capacité du stade de 40000 places à 34694 places assisses actuellement

Rappel historique : durant la guerre, notre stade a été utilisé par la Wehrmacht pour des compétitions sportives entre ses régiments.

Le deuxième stade de Lescure (le stade annexe) est lui très fréquentée (entre 500 et 1000 pratiquants par jour) car ouvert à tous, en particulier aux scolaires. Ce stade construit entre 1938 et 1941 par le seul Jacques d’Welles, comporte une piste normée de 400m, différents terrains de handball, basket, pelote basque, tennis et différents gymnases fermés. Les sportifs entrent dans ce stade par ce magnifique petit forum romain Art Déco, resté dans son état d’origine depuis 1938. Son entrée est aussi signalée par un pylône dû à l’architecte Jacques d’Welles. Il a repris aussi les arcades lombardes pour animer ses façades. Un très beau projet d’aménagement concerté avec utilisateurs et habitants est actuellement proposé (2023) par la nouvelle municipalité pour cette structure sportive quasi complète et très fréquentée de centre ville.

Le quartier alentour = le triangle de la photo du tout début, est lui aussi remarquable par son homogénéité architecturale : il témoigne des gouts architecturaux des bordelais de l’entre deux guerres. Beaucoup ont choisi une architecture du passé : éclectisme surtout ou néoclassique, Seuls un tiers choisissent la nouveauté : l’Art Déco. Sur la place des Cèdres nous avons quelques maison de style paquebot et une seule maison de style international construite vers 1960. Voir article à venir sur ce site

Conclusion 

Bordeaux c’est le XVIIIe siècle, le vin mais aussi l’Art Déco. 

Présent partout ici et de très belle manière. L’Art Déco à Bordeaux, a une présence, un rayonnement, une importance analogue au XVIIIe siècle. Le Bordeaux institutionnel ne l’a pas encore bien perçu.  Notre office du tourisme, nos musées ignorent trop cette période. Les nombreux artistes bordelais qui, dans toutes les disciplines artistiques, ont illustré cette période, sont l’arlésienne de nos musées restés trop centrés sur le XVIIIe siècle comme notre musée des arts décoratifs.

A midi, la silhouette du Parc de Lescure peinte dans l’ancienne école d’odontologie, boulevard de la Marne, vers 1955 par André Lhote (1885-1962) – né à Bordeaux . André Lhote est un peintre cubiste, grand théoricien de l’art, qui a représenté ici une espèce de « triomphe de Bordeaux » avec ses principaux monuments que l’on reconnait facilement (photo partielle d’une immense toile).

On peut prendre en exemple Vienne (Autriche) ou Nancy ou Boulogne-Billancourt. En 1960 on ne parlait pas à Vienne de la Sécession, mais de Marie-Thérèse, Schönbrunn, Sissi et Strauss. On découvrait avec difficulté à Vienne, en 1960, expérience vécue, les réalisations de Loos, Hoffmann, Otto Wagner, Klimt et Schiele, et même Mahler et Berg. Aujourd’hui 50 ans plus tard c’est l’inverse ; ce sont les réalisations des architectes et des peintres de la Vienne 1900 qui figurent en bonne place dans tous les circuits organisés. Vienne exploite maintenant à fond cette manne touristique qu’elle ignorait superbement il y a 50 ans. L’architecte de Lescure, Raoul Jourde, était en stage à Vienne en 1911 chez Joseph Hoffmann. Ses audaces à Lescure  ont certainement été inspirées par les audaces de la Sécession vues sur place.

Même démarche patrimoniale de la ville de Nancy en 1995, avec la retrouvaille de son Art Nouveau. Le centenaire de la création de l’école [Art Nouveau] de Nancy fondée en 1899 par Émile Gallé fut l’occasion pour la ville, dirigée alors par Monsieur Rossinot, de redécouvrir les réalisations des artistes de l’école, dont les nombreuses maisons et monuments relevant de cette esthétique. Elle s’est réappropriée efficacement ce mouvement artistique, a mis en valeur ce patrimoine (par panneaux explicatifs) et a organisé leur découverte touristique par des circuits, un musée magnifique dans une maison étonnante complète le dispositif mis en place par la mairie. Elle a donc ajouté à son ancienne et prestigieuse carte de visite XVIIIe siècle : la place Stanislas et Jean Lamour, un autre thème touristique porteur, celui de l’Art Nouveau. Et cela a marché : le succès touristique est là. 

Boulogne-Billancourt a superbement exploité son filon touristique en collectionnant des éléments Art déco dont les mairies françaises ne voulaient plus (ainsi la colonne en ciment de Mallet Stevens à St Jean de Luz a rejoint Paris en 1980 . L’Art Déco, il y a 30 ans, vivait une période de purgatoire habituelle. Boulogne-Billancourt en les rassemblant dans un superbe musée des années trente , qui s’ajoute à un circuit découverte prestigieux de maisons de cette époque. Bordeaux peut faire de même car il y a matière à faire ici avec les multiples monuments (dont le stade Lescure) et les maisons individuelles de l’ère Marquet. Bordeaux part presque de zéro pour illustrer les œuvres des artistes bordelais de la période Art Déco. Voir les terribles écrits du peintre bordelais André Lhote sur l’ingratitude des Bordelais.

La période dite “ Art Déco ” est « la dernière période de l’histoire de l’architecture ou un style imposa ses formes, ses principes à toutes les productions humaines, de la petite cuillère au… stade municipal, de la voiture à l’habitation, de la peinture à l’habit de tous les jours, un équivalent en quelque sorte de l’unité esthétique qui se repère à la Renaissance. Une période où tout était art et élégance, beauté et utilité ». Selon Marc Saboya, professeur d’histoire de l’art de notre université.

Quel avenir pour le stade de Lescure ?

En 2014/2016 la précédente municipalité, pour contenir le budget du très controversé nouveau stade : Matmut Atlantique, a voulu commercialiser les 7 hectares sportifs de Lescure avec un projet qui ne respectait pas l’ intérêt patrimonial, ni social de ces deux stades. La vigoureuse réaction des riverains et d’associations telle que Préservons Lescure, a fait reculer Alain Juppé qui a abandonné son projet destructeur à la mi 2016. Sans nous, le stade annexe aurait disparu aujourd’hui pour 400 logements etc et le stade principal serait amputé du virage sud pour le transformer en restaurant pour quelques privilégiés. Détruisant définitivement la magnifique perspective libre à 360°, sans pilier, de Jourde.

Le 24 octobre 2022, l’ensemble des deux stades de Lescure ont été inscrits comme Monuments Historiques, la troisième tentative d’inscription aura été la bonne. La première date de 2000 par le regretté Professeur Robert Coustet qui nous a beaucoup aidé dans notre démarche durant ces 23 ans.

Comme l’avait demandé Adrien Marquet le 12 juin 1938 en inaugurant le grand stade, c’est donc bien les bordelais : « le public » qui a permis de conserver l’intégrité de ces stades. Ces édifices manifestes de la révolution de l’architecture du début du XX ème siècle, témoins du remplacement de la pierre par le béton pourront ainsi être admirés par les générations suivantes.

Jean Claude Pelet le 18 août 2023

J’ai utilisé trois belles photos de Lescure non signées, trouvées sur internet, je suis prêt à payer les droits ou mentionner le nom des auteurs si ceux-ci se manifestent

Bibliographie sommaire :

1°/ Robert Coustet : le stade municipal et le parc des sports de Bordeaux : recherche de la paternité Revue Historique de Bordeaux 1982. Sera bientôt disponible en pièce jointe sur notre site

2°/ Robert Coustet et Marc Saboya Bordeaux : la conquête de la modernité 404 pages  Mollat 200

3°/ Guy Dupuis : Stade Lescure/Chaban-Delmas  2008, c’est la chronique des travaux de 1984-86

4°/ Francis Baudy – notre historien local – différents articles souvent publiés dans « le Petit Augustin » sur l’histoire de la ferme du château Lescure et de ce quartier faisant partie de la commune du Tondu puis du quartier Saint-Augustin. Nos photos sont souvent issues de son fond iconographique. Francis est un éminent collectionneur de cartes postales anciennes