Skip to main content

La Bourse du travail

Écrit le 13 novembre 2023

Cette page a pour but de présenter un des bâtiments publics bordelais emblématique de la période Art déco et voulu par la municipalité d’Adrien Marquet.

Avant de décrire ce nouvel édifice inauguré en 1938, qu’y avait-il auparavant pour accueillir les syndicats ouvriers à Bordeaux ?

Rappel historique

En 1887 une scission s’opère au sein des 8000 syndiqués regroupés dans une « Union des syndicats ouvriers ». En 1888-1890, la mairie propose de réunir ces syndicats dans un même local situé au 42 Paul- Louis-Lande dans l’ancienne école de médecine.

Fonds F. Baudy

À la veille du premier conflit mondial, on compte 20 000 ouvriers adhérents. Il faut impérativement trouver un local adapté. En 1924, à l’occasion de la campagne électorale législative, Adrien Marquet (1884-1955) promet un bâtiment neuf s’il est élu député. Député en 1924, il sera aussi élu maire1925. Il a donc tous les pouvoirs pour exécuter son programme.

Il va alors confier à un jeune architecte d’origine toulousaine, Jacques d’Welles l’étude d’une nouvelle Bourse du travail. Ce dernier avait fait des études jumelées d’ingénieur et d’architecte. Il avait été nommé par le maire précédent Ferdinand Philippart. Pourtant entre 1927 et 1933, Jacques d’Welles devra revoir ses deux premiers avant-projets rejetés par Adrien Marquet. La 3e tentative sera la bonne.

En août 1930, le conseil municipal vote le financement de grands travaux dont la construction d’une vaste Bourse du travail. En février 1934, Adrien Marquet devient ministre du Travail dans le gouvernement de Gaston Domergue et dans la foulée le conseil municipal vote la construction d’un nouveau « Palais du travail » pour les syndicats qui comptent à l’époque 60 000 adhérents.

Une construction élevée dans un endroit difficile

Le 3e projet imaginé par d’Welles est en fait une maison des congrès et une maison des syndicats. La municipalité propose en 1928 à l’architecte la construction de ce vaste bâtiment à l’emplacement de l’ancien réservoir d’eau de Sainte-Eulalie datant du siècle précédent. Il est situé à l’angle du cours d’Aquitaine (qui deviendra cours Aristide-Briand en 1932) et de la rue Jean-Burguet.

Le 11 juin 1934, ce sera la pose de la première pierre du futur bâtiment. La forme du terrain est un quadrilatère irrégulier coincé entre des rues étroites. Seul le cours Aristide Briand (cours d’Aquitaine à l’époque) offre un net dégagement. D’Welles va y élever une haute façade de cinq étages côté sud. Deux bâtiments triangulaires sont reliés par un même côté.

Avant-projet Archives Bordeaux-Métropole VIII II

Sur cette maquette, on distingue bien les deux parties du bâtiments avec un patio au dernier étage donnant sur la façade et une cour à l’arrière pour éclairer les bureaux. À gauche, c’est le sculpteur Alfred Janniot qui comblera l’encadrement vide de décoration.

Le palais des congrès est situé du côté cours Aristide Briand et la maison des syndicats donne sur une cour, à l’arrière, entre les rues Jean-Burguet et Henri IV. Le bâtiment sera construit avec le matériau moderne de l’époque : le béton.

Fonds F. Baudy

La façade

La façade asymétrique de béton a reçu un revêtement granité. Seule dérogation au béton, l’utilisation d’une pierre blanche pour les colonnes et les baies. La façade est décorée d’un immense bas-relief de pierre à gauche. L’architecte a réalisé un compromis en tradition et modernisme voulu aussi par le maire Adrien Marquet. Des piliers carrés blancs sur trois niveaux tiennent les vitraux qui éclairent la grande salle de conférence du 1er étage. Au-dessus une petite colonnade permet aux visiteurs du patio d’avoir une vue sur la ville.

Un concours pour la sculpture est lancé en 1935 mais aucun projet n’est retenu. Le sculpteur parisien Alfred Janniot, qui a envoyé une esquisse au maire, est agréé pour ce projet (sans l’accord de d’Welles).

Le bas-relief qui domine la partie gauche de la façade représente une allégorie célébrant la Paix et la ville de Bordeaux.

Bas-relief en pierre de Lavoux (Vendée) réalisé par le sculpteur parisien Alfred Janniot déjà connu pour son travail remarquable sur la façade du musée des Colonies à Paris. Ici, il célèbre la Paix et la Ville de Bordeaux. Tout en haut à gauche, on distingue le logo de la ville ainsi que la date 1936 alors que le bâtiment sera inauguré qu’en 1938.

On pénètre dans l’immense hall par cinq portes ouvragées dessinées par d’Welles et réalisées par le ferronnier Garlin. On y retrouve tous les noms de métiers des corps de métier de la ville.

Ces entrées sont protégées des intempéries par un auvent ajouré de verre Nevada.

Les portes ont été dessinées par l’architecte Jacques d’Welles.

L’intérieur

Une fois franchies les portes, un vaste hall s’offre au regard de celui qui y pénètre.

Le plafond est sobrement décoré de triangles. Les formes géométriques étant très utilisées avec le style Art déco.

Il donne sur un immense escalier à deux volées amenant au premier étage.

Le fer, le verre et le béton, trois matériaux utilisés souvent pendant la période Art déco. Les rampes ont été dessinées par l’architecte. Le fer forgé habillé de verre renvoie à la modernité et à l’industrie.

Le 1er étage

C’est à cet étage que l’on peut voir l’abondance et la richesse de la décoration voulues par le maire. Elle est réalisée de 1935 à 1942. 6% du budget lui sera consacré. C’était aussi une opportunité pour utiliser les compétences des artistes locaux.

Plan du 1er étage Archives de Bordeaux-Métropole VIII II

En haut de l’escalier un immense palier donne sur la salle de conférences. À gauche, on trouve sur le foyer sud et à droite le foyer nord. C’est dans ces trois lieux que l’on trouve une abondante décoration des peintres bordelais.

Le foyer sud

C’est François-Marie Roganneau, alors directeur des Beaux-Arts de Bordeaux qui peint une allégorie sur le thème du Vin.

L’allégorie de la vigne au centre est encadrée par des vendangeurs à gauche et des buveurs en fête à droite. François Roganneau a coiffé son travail d’un Apollon sur un quadrige dont les chevaux se cabrent.

Albert Bégaud illustre celui du Pin des Landes. (ci-dessous)

Avec des accords de vert et de pourpre, Bégaud propose un panneau dense. Fougères, pomme de pin, pin avec son pot de résine, oiseaux migrateurs. Les Landes en raccourci.

La plupart des peintres qui œuvreront pour décorer magnifiquement le premier étage font partie de l’École de Beaux-Arts de Bordeaux.

Le foyer nord

Vue depuis le foyer sud. Sous l’escalier on devine l’entrée de la salle Ambroise Croizat et au fond le foyer nord.

Camille De Buzon (1885-1964) est un peintre bordelais, professeur à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux. Il peint cette fresque de 23 m2 sur le thème de « la Gloire du port de Bordeaux« . Un nu allégorique féminin tient au-dessus de sa tête, telle une caryatide, un vaisseau aux voiles gonflées. À sa droite, Mercure casqué tient son caducée et montre à sa gauche la route du commerce. Au sol, des personnages dénudés tenant les armoiries de Bordeaux et la Garonne accoudée à son vase.

Un panneau vertical illustrant la pêche sur la Garonne nous fait lever la tête et nous permet d’admirer le travail de ferronnerie d’art de l’escalier. On peut continuer à être émerveillé par ce travail remarquable avec la ferronnerie des ascenseurs.

Jean-André Caverne (1894-1950) « La Gloire de l’architecture bordelaise ». Caverne est un peintre bordelais qui comme ses collègues De Buzon, Roganeau, Bégaud et Bégaud s’engagea à peindre sur mortier frais les murs des foyers. Ici, L’Architecture, vêtue d’une longue robe qui laisse voir son anatomie est accoudée aux volutes d’un chapiteau composite. Elle tend la Lumière. À sa droite se tient l’écrivain Montesquieu et l’intendant Tourny. À sa gauche, près de la lumière, se dressent les architectes Gabriel et Victor Louis. À droite, la Porte-Dijeaux, le Grand-Théâtre.

Sur le côté gauche de l’œuvre, trois ouvriers du Moyen-Âge s’affairent. En bas un sculpteur accroupi taille un chapiteau composite, au-dessus un bâtisseur manie l’équerre et la truelle, et le dernier monte des matériaux. Sur la partie droite, trois ouvriers contemporains travaillent devant des monuments de leur temps.

La salle de conférences Ambroise Croizat

À gauche, projet de salle de spectacle (1935). À droite, la salle terminée en 1938. Il manque la décoration qui sera réalisée entre 1938 et 1942.

Au 1er étage, une immense salle permettait d’accueillir 1300 spectateurs. 900 dans la salle autrefois meublée de fauteuils en bois…

… et 400 places au balcon. Une remarquable pendule électrique de style Art déco, de la célèbre marque Brillié (1898-1987) surplombe les gradins.

Cette fresque de 5 m de hauteur sur une largeur de 12,60 m peinte sur une concavité centrale au-dessus de la scène, est une allégorie de la Ville de Bordeaux. Elle a été réalisée par Jean Dupas, un peintre bordelais (1882-1964), Prix de Rome de peinture en 1910, affichiste et décorateur représentatif de l’Art déco. Deux groupes de personnages sont représentés sur deux registres horizontaux. Au centre le blason coloré de la ville de Bordeaux est soutenu par deux antilopes blanches. Dans le ciel, les arts sont représentés par une nymphe assise sur une lyre. Le commerce est symbolisé par Mercure tenant un énorme caducée. À gauche, une Renommée ailée tient sa trompette en offrant une couronne de laurier au couple divin. Cette fresque sera terminée en 1939.

(détail) À droite, Neptune est monté sur son triton bleu. Un personnage féminin lui montre le passage à travers les palmes luxuriantes et les bananiers où s’avancent des personnages nus sur un fond exotique.

Jean Dupas adore peindre des œuvres monumentales. « Plus grand est mon travail, plus je suis heureux. » Il collaborera à la décoration de plusieurs paquebots dont L’Île-de-France, le Liberté et le Normandie.

Sur la partie gauche de la salle de conférences, en face des vitrages, le peintre avait proposé des sujets qui avec le début de la guerre n’étaient plus d’actualité. De plus, il dut proposer une œuvre dont le rythme architectural correspondait aux verrières d’en face. Il y peindra des panneaux en grisailles dans des tons clairs, pour ne pas concurrencer les couleurs vives de l’arrière-scène.

Les panneaux de Jean Dupas sont consacrés à la civilisation et à la culture. Ils seront terminés en 1942.

Le mur nord est recouvert de noms illustres d’hommes de lettres, de peintres, de musiciens, de médecins et de savants.

Dans les années 1950, cette immense salle permettait d’offrir à un public nombreux du théâtre, de la musique, de la poésie amis aussi du cinéma. Ci-dessus la cabine de projection qui donnait directement sur la salle dont on entrevoit la fresque de Jean Dupas.

Cet imposant escalier en bois situé à l’arrière permettait aux acteurs d’accéder directement sur la scène de la grande salle.

Le promenoir ou péristyle qui permet d’accéder à la salle de conférences par des portes au-dessus desquelles le peintre, dessinateur et sculpteur d’origine bordelaise, Louis Bate (1898-1948) a créé trois médaillons avec le profil gauche des pères du socialisme : Pierre Proudhon (1809-1865), Charles Fourier (1772-1837) et Jean Jaurès (1859-1914).

Sur ce montage photo, on peut lire une phrase célèbre sous chacun de leur auteur.

Les 2e et 3e étage

Ils sont occupés par des bureaux réservés aux syndicats, principalement la Confédération Générale des Travailleurs (CGT). À l’origine, l’architecte avait prévu 70 salles de réunion. Sur cette partie, une vaste cour éclaire les nombreuses ouvertures dessinées par Jacques d’Welles.

Le 4e étage

Sur ce plan du dernier étage, on distingue sur le premier trapèze, la salle des congrès en pointe et la cour patio qui dessert un promenoir, une salle de typos et une bibliothèque.

Le patio montre sur sol dont le carrelage en zig-zag se retrouve aussi dans les couloirs. Le vaste fronton percé de larges ouvertures qui éclairent la salle de conférences du 1er étage.

Un agréable promenoir permettait aux syndiqués de se détendre entre chaque réunion. Le patio offre une vue panoramique sur la partie sud de la ville.

La petite salle des congrès, en travaux depuis de nombreuses années attend toujours son décor d’origine.

Archives de Bordeaux-Métropole VIII II

À l’origine se trouvait dans celle salle un décor extraordinaire qui ne faisait pas appel à la peinture mais à la photographie. En effet 28 panneaux de photographies placées à hauteur du regard constituaient une décoration de 38 m de long ! Le photographe Marco Pillot avait réussi à exposer six triptyques retraçant le monde ouvrier et industriel. Ce beau décor attend de nos jours dans une armoire déposée dans la salle des congrès. L’ensemble a été numérisé.

Reste à trouver le financement et la volonté pour continuer les nombreux travaux nécessaires à la mise en valeur de ce bâtiment pour le moment largement oublié. Rappelons que la Bourse du travail est classé en totalité aux Monuments historiques depuis le 25 juin 1998.