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Inventaire de tous les bâtiments bordelais de la période Art déco (1918-1940)

Écrit le 20 février 2024

Vous trouverez ici une présentation des bâtiments publics et privés construits dans la période de l’entre-deux-guerres et relevant des deux styles architecturaux nouveaux en ce début du XXe siècle : le style Art déco proprement dit et le style international.

  • le style Art déco proprement dit, né en France, vers 1910-1915, est de diffusion géographique mondiale et va concerner toutes les formes d’art, c’est cette universalité artistique qui est étonnante. Toutes les manifestations artistiques de toutes les formes d’art vont avoir une déclinaison Art déco comme à la Renaissance.
  • le style international (appelé moderniste au début) né en Europe centrale et surtout en Allemagne grâce au Bauhaus (1920-1933), qui aura lui aussi une diffusion internationale, mais avec une bien moindre universalité artistique, puisqu’il concerne surtout l’architecture. Une autre épithète est souvent accolée à ce style : fonctionnaliste. Seuls les éléments nécessaires à la fonction de la maison sont visibles : fenêtres, portes, escaliers avec suppression totale de l’inutile ajouté comme de la décoration. Ce style va avoir une bien plus grande longévité que les 20 ans du style Art déco. Un siècle après, on construit toujours aujourd’hui avec des variantes de ce style.
  • Par contre sont éliminés de cet inventaire, les bâtiments construits durant cette période de l’entre- deux-guerres mais en empruntant des styles plus anciens comme l’éclectisme ou le néoclassicisme. Comme exemple de bâtiments publics éclectiques : la Bourse maritime de 1925, ou privés par comme la construction de deux chartreuses en 1930 dans le quartier Lescure. Ces constructions tardives n’apportant aucune originalité à l’existant.
  • Le maire de Bordeaux Adrien Marquet, élu en 1925, a lancé un plan d’urbanisme seulement en 1930. Durant les 5 premières années de son premier mandat (1925-1931) il n’a pas été à l’initiative de réalisations architecturales majeures à Bordeaux. Il s’est rattrapé lors de la dernière année du premier mandat (probablement en prévision des élections de 1931) puis par la suite lors de ses mandats successifs. Adrien Marquet a largement utilisé ses propres réalisations architecturales dans ses campagnes électorales pour être réélu en 1931 et 1937. A partir de 1930, les projets puis les constructions nouvelles vont se multiplier à Bordeaux. Le maire de Bordeaux, suivant alors son modèle Édouard Herriot, maire de Lyon durant 46 ans, et remarquable bâtisseur dans sa ville.

Bâtiments publics (par ordre chronologique)

  1. La Maison cantonale de la Bastide (quartier de Bordeaux rive droite). Cet ovni architectural conçu vers 1913 et terminé en 1926 par l’architecte visionnaire Cyprien Alfred-Dupat est cité ici. Mais son architecture composite défie les classements. L’ensemble ressemble à un hôtel de ville de l’Europe du Nord avec son immense toit à 60° de pente et est traité dans un style composite historiciste.
  2. La maison Frugès (place des martyrs de la résistance) est l’autre ovni de notre inventaire. C’est un immeuble urbain reconstruit entre 1913 et 1918 dont la façade est simple, peu décorée (vigne) et classique avec un bow-window. L’intérieur par contre reflète avant tout les goûts du propriétaire où domine un éclectisme débridé et l’orientalisme. Il précisera « qu’il a dressé les plans et prévu la décoration dans les moindres détails« . Frugès a fait intervenir une multitude d’artistes français et presque toute l’école des Beaux-arts bordelaise. La visite est toujours passionnante car, à l’éclectisme initial de Frugès en partie encore présent, les propriétaires actuels y ont ajouté une collection personnelle de céramiques de Buthaud entre autre. Et une sympathique obsession de retrouver les œuvres d’art d’origine, et qui ont été dispersées lors de la faillite de l’entrepreneur en 1933. Cette maison est souvent représentée comme composite Art nouveau et Art déco bien que construite après la fin de l’Art nouveau, pendant la guerre de 1914-18. L’Art nouveau est évoqué par la mosaïque du sol, le décor maniéré en algue de la rampe d’escalier et par la salle de bain en mosaïque bleue du premier étage de Gentil et Bourdet, mosaïstes remarquables de Boulogne-Billancourt, et que l’on retrouvera à l’œuvre dans le tri postal près de la gare Saint-Jean. Cette salle de bain en mosaïque bleu verte sur le thème du jardin fleuri est pour moi la merveille de cette maison, car il reste très peu de salle de bain de cette époque. Elles ont toutes été détruites en étant modernisées (voir une autre- avec participation de Daum- à la villa Leihorra à Ciboure). La verrière de Brandt sur l’escalier rose est en verre blanc. L’Art nouveau aurait plutôt proposé un décor floral très coloré. L’intérieur avec beaucoup de boiseries sombres sur les murs me parait plus proche d’un historicisme personnalisé très oriental, à la façon du château d’Abadie, ou même la maison de Pierre Loti à Rochefort, que de l’Art nouveau. Il n’y a pas ici de cohérence parfaite, meubles, décors, et fonctionnalités (chauffage) comme on peut l’apprécier à la maison d’Horta, ou à la villa Majorelle à Nancy qui caractérisent l’Art nouveau. On y admire une merveille Art déco, la Source de Wlerick revenue à sa place d’origine grâce à l’actuel et pugnace propriétaire. On admire aussi, dans l’escalier rose, un grand tableau de René Buthaud en verre églomisé qui semble tout droit récupéré d’un paquebot transatlantique.

Le Théatre de la Pergola a été construit en 1927 par la commune de Caudéran intégrée depuis à Bordeaux. C’est un ensemble comportant une salle de spectacle de 800 places, bordé par des salles de réunions d’un coté et de sports de l’autre. Les côtés étaient surmontés de toits avec pergolas accessibles en été. Ces pergolas ont disparu vers 1985. Et la décoration interne très Art déco avec fontaines lumineuses a partiellement disparu. À noter le commissariat de police en face, lui même très Art déco.

La Clinique chirurgicale (1928) est un agrandissement de l’hôpital Saint-André. L’architecte Cyprien Alfred-Duprat se renouvelle totalement et construit un imposant bâtiment Art déco à toit plat avec une décoration limitée au fronton, autour du thème du bain de Jouvence qui guérit.

La gare Saint-Louis (1929) gare terminus de la ligne du Médoc, qui a perdu son utilité avec le raccordement de la ligne au réseau général de la compagnie du Midi, et à la grande gare Saint-Jean. Construite en béton avec une décoration Art déco prononcée. Des transformations ont fait disparaitre progressivement son originalité artistique. Actuellement il n’y a plus de train, c’est devenu un centre commercial.

Le centre de tri postal (1929) de l’architecte toulousain des PTT, Léon Jaussely, est un exemple parfait des constructions modernes de l’époque, en béton élégant avec une imposante façade et une remarquable décoration de carrelages et mosaïques très Art déco de Gentil et Bourdet (voir aussi maison Frugès) dans les tons bleu vert. Seul l’aspect extérieur du bâtiment a été heureusement bien conservé, luminaires en verre compris. Cet ancien centre postal abrite aujourd’hui le centre de contrôle de la ligne de TGV Paris-Bordeaux.

Le monument aux morts de la grande guerre (1929) par Jacques d’Welles, à coté de l’église Saint-Bruno, ne comporte pas les poncifs du genre avec statues de poilus héroïques ou morts, dans les bras d’une France éplorée, avec vrais obus recyclés, et coqs victorieux. C’est un ensemble de sobres plaques de marbre comportant les noms des soldats morts pour la France avec 4 lanternes des morts et un bassin.

La piscine de Bègles (1932) Comme les monuments aux morts, les piscines et les bains douches sont devenus des constructions obligatoires, pour toutes les villes, dans la vague hygiéniste de l’après 1918. Celle de Bègles a reçu une décoration totalement Art déco et même de la première mouture du style dite « zigzag ». Ce style très décoré et chargé, va vite évoluer vers plus de simplicité. Cette piscine est, avec le tri postal, le modèle parfait du bâtiment de style Art déco à Bordeaux. Voir un autre article sur notre site, détaillant et comparant les piscines de l’époque.

La Cité Universitaire (1933) rue Budos dessinée par Jacques d’Welles comporte huit pavillons et 274 chambres (seulement pour des garçons) autour d’un grand jardin avec des terrains de sports. Cette cité est restée un bel exemple de rationalisme moderne. D’Welles utilise les matériaux modernes c’est à dire le béton et l’acier tout en donnant à son béton… l’aspect de la pierre.

Son pendant pour les étudiantes est la maison des étudiantes (1931) cours Aristide Briand à Bordeaux. Elle est construite en pierre mais avec une décoration très Art déco, beaucoup de ferronneries, un toit plat et une pergola. Et l’on retrouve des grands visages sculptés sous le rebord du toit, comme en Europe centrale.

La Régie municipale du gaz et de l’électricité (1934) est issue du plan Marquet de 1930 et elle devait « exprimer clairement le modernisme de sa fonction« . Le projet fut confié à Raoul Jourde architecte bordelais partisan du style international (et en 1932, il ne devait pas y en avoir beaucoup). Jourde a réalisé, à 300m de la cathédrale, une parfaite réalisation de ce style qui aurait pu être signée par Le Corbusier. Elle est tout en béton, acier, verre, toit plat, fenêtres bandeaux, pilotis et tour-beffroi comportant un escalier éclairé la nuit et volontairement… un peu plus haute que le clocher de la cathédrale voisine. Scandale assuré devant le sacrilège et la révolution architecturale totale que représente cet ovni dans la « ville de pierre » vénérée par les Bordelais. L’ovni existe toujours, transformé en hôtel. Il détonne toujours autant dans le centre ville historique car la flèche de l’escalier se voit de très loin dans la vieille ville. Cette régie avec son style ultramoderne, et les polémiques qui vont avec, est le premier contact des Bordelais avec la modernité architecturale du XXe siècle. Voir notre prochain article développant cette réalisation.

La piscine Judaïque de Bordeaux (1934) rue Judaïque. C’est le contre pied architectural parfait de celle de Bègles inaugurée 14 mois plus tôt, puisque on ne trouve plus de décoration (sauf le Neptune stylisé de Pico à l’entrée) et l’adoption du style international (tout béton sans décoration). Voir autre article sur notre site comparant les deux piscines. Avec en plus à Judaïque, des solutions techniques innovantes et un rendu esthétique final remarquable, sans décoration, cette piscine est toujours en activité aujourd’hui, 90 ans après.

Seul élément décoratif de style Art déco au fronton de la piscine Judaïque. Il est l’œuvre du sculpteur français Émile Picault

Le collège moderne de garçons rue du Commandant Arnould (1935) avec une façade majestueuse rythmée par les ouvertures horizontales et verticales surmontée d’une importante frise de grecques. D’autres groupes scolaires en architecture traditionnelle modernisée Art déco sont remarquables comme le groupe scolaire Anatole France (1934) ou Jean Jaurès (1932).

Les bains douches de la bastide, du Bouscat, de la place Buscaillet sont les témoins, avec des dispensaires, de la période hygiéniste débutée vers 1918. Les villes avaient l’obligation de les construire en proportion de leur population. Ils furent parfois joliment décorés. Ils sont devenus inutiles dans les années 1980 et souvent reconvertis en médiathèque, bibliothèque etc. Voir article développé sur ce sujet sur notre site.

Les bains-douches de la place Buscaillet ci-dessus.

Les bains-douches du Bouscat

Les nouveaux Abattoirs du quai de de Paludate (1938). L’architecte Édouard Debat-Ponsan réussit le tour de force de construire un ensemble remarquable : bâtiment administratif avec fenêtres-bandeau et toit plat et tour centrale et deux longs bâtiments parallèles et originaux en chapeau de gendarme pour l’accueil des bêtes et leur abattage. L’un de ces deux bâtiments a été conservé et transformé en hall de restauration avec de multiples variétés de cuisine.

Le stade de Lescure (1938) Ce très grand stade succède à un autre construit en 1924. Le maire Adrien Marquet voulait son Gerland (Lyon). Il a confié le projet à l’architecte bordelais Raoul Jourde qui a imaginé un stade moderne tout béton sans décoration, donc de style international comme sa régie du gaz. Ces immenses stades sont un peu devenus, dans nos cités modernes, l’équivalent des cirques antiques ou même des cathédrales du Moyen Age. On s’y rassemble. Les architectes innovent comme du temps du gothique. Ainsi ce stade est très innovant techniquement et a fait date dans l’histoire de l’architecture. Sa maquette figure d’ailleurs au Palais de Chaillot à Paris, dans la cité de l’architecture et des monuments français. Premier stade dont les sièges sont entièrement protégés de la pluie, sans pilier en tribune, grâce à un toit continu en formes de voutes juxtaposées : les voutains. Ce toit en léger voile de béton liquide coulé dans un coffrage n’était pas réalisable vers 1934, par les entreprises françaises qui ne savaient pas faire cela. Le résultat des audaces techniques de l’architecte est cette vue intérieure libre à 360° et qui surprend toujours actuellement. Voir par ailleurs l’article détaillé sur ce site. L’architecte Jourde ne sera pas remercié pour son originalité car son nom ne figure même pas sur les plaques d’inauguration ! Ce stade devait être démoli vers 2015 par la précédente municipalité. Il a été sauvé par la pugnacité de Bordelais qui durant 20 ans ont œuvré, pétitionné, manifesté, l’ont fait connaître, visiter, pour empêcher la mairie (d’avant) de le détruire. Il est inscrit aux Monuments historiques depuis octobre 2022.

Vue aérienne du stade Chaban-Delmas avec le stade annexe et la place ronde Johnston

La Bourse du travail (1938), dont l’enjeu politique pour la mairie socialiste de l’époque était considérable. Jacques d’Welles, architecte de la ville, a construit ici son chef d’œuvre. Tout le Bordeaux artistique de l’époque y a contribué. Dans un style classique modernisé propre à D’Welles, avec une profusion décoration importante et originale. Les considérables surfaces peintes racontent la vie de l’Aquitaine d’alors. Voir l’article détaillé sur le sujet sur notre site. Ce monument emblématique souffre actuellement de vieillissement et se dégrade, malgré des travaux réguliers. Il est trop souvent inaccessible aux visites.

On se doit d’évoquer ici la magnifique aérogare à Mérignac construite par les architectes Alfred-Duprat, père et fils et détruite en 1944. Elle associait une grande modernité : verre fer béton. Une rotonde : élément architectural à la mode et des ailes vitrées. Elle ressemblait à l’actuelle aérogare du Bourget transformée partiellement en musée de l’air.

Maisons individuelles et quartiers construits durant la période Art déco.

Les Bordelais sont entichés du style Louis XV et Louis XVI mais dans sa variante bordelaise. Toute en sobriété, en géométrie classique et références antiques et surtout débarrassée de tout excès décoratif. Pas de rococo doré à Bordeaux. Puis vers 1850 les Bordelais ont adoré et adopté le nouveau style éclectique qui mélangeait tous les éléments architecturaux du passé. Vers 1900, le style Art nouveau n’a eu aucun succès ici. Par contre le style Art déco a été très utilisé vers 1925-1930 pour construire les nouvelles maisons tant individuelles qu’en lotissements. Il y a plusieurs milliers de maisons Art déco à Bordeaux dont on repère très bien les façades différentes en se promenant. Cet engouement est explicable par l’origine de ce style Art déco. Il est d’origine bien française, et il n’est en fait qu’une évolution de la maison néo-classique du XVIIIe siècle, si appréciée des Bordelais. On part de la façade classique mais avec une décoration de surface limitée mais qui est géométrisée et stylisée non réaliste (à l’inverse de l’Art nouveau). La vraie révolution architecturale en ce début du XXe siècle, ce sera l’autre style dit international tout béton qui est aussi bien présent lui aussi à Bordeaux mais en petit nombre dès 1926 (cité Frugès, maison Pérusat, régie municipale, stade de Lescure, abattoir, ancien aéroport-détruit-) et c’est tout.

En 1923-25 plusieurs lotissements ouvriers vont être construits dont celui du syndicat des tramways dans le quartier Lescure (architecte P.H. Expert). Celui dit Galliéni (architecte J. d’Welles nouvellement nommé architecte de la ville par le maire d’alors Fernand Philippart) et celui du quartier Frugès à Pessac, confié à Le Corbusier (qui paradoxalement n’est pas un architecte de formation, alors qu’il va révolutionner l’architecture).

Le quartier ouvrier construit par l’architecte P. H. Expert à Lescure (rue Marceau) en 1923, est un quartier d’échoppes bordelaises ayant l’aspect d’ échoppes 1900, mais préfabriquées en ciment. Ce qui va permettre de construire en quelques mois une bonne vingtaine de maisons identiques (4 et 6 pièces) pour le syndicat des transports bordelais (TEOB). Ceci logiquement tout à coté du lieu de travail, le dépôt principal des trams et autobus bordelais de Lescure.

Le quartier ouvrier nouveau construit en 1924 par Jacques d’Welles vers le cours Gallieni a un aspect de village ordonnancé autour de rues et places avec arbres et jardinets. Avec des maisons basses d’aspect traditionnel mais de six types différents pour éviter la monotonie d’un coron. Ce quartier est toujours plébiscité par ses habitants.

La Cité Frugès à Pessac 1926.

L‘entrepreneur sucrier bordelais, Henri Frugès a lu et s’est passionné pour les théories de Le Corbusier exposées dans « l’ Esprit Nouveau ». Et il va confier à ce dernier la construction d’une cité ouvrière pour ses employés avec une mission claire: « … Vous munirez ces maisons d’un équipement intérieur et de dispositifs qui en rendent l’habitation facile et agréable. Et quant à l’esthétique qui pourra résulter de vos innovations, elle ne sera plus celle des maisons traditionnelles, couteuses à construire, couteuses à entretenir, mais celle de l’époque neuve contemporaine. La pureté des proportions en sera la véritable éloquence ». Le Corbusier va avoir enfin l’occasion de mettre en pratique pour la première fois à grande échelle, ses théories sur le logement populaire moderne (avec des sanitaires complets entre autre), et sur l’urbanisme avec les possibilités du béton remplaçant la pierre. Le Corbusier était à Berlin, chez l’architecte allemand Peter Behrens, en 1911 (cette année-là, notre architecte bordelais Jourde était lui chez Joseph Hoffmann à Vienne). Ainsi ils découvraient tous les deux, la révolution architecturale en cours en Allemagne et en Autriche autour du béton, de l’acier et du verre, qu’ils vont importer en France et entre autre, à Bordeaux. C’est grâce à ces deux architectes que le style international (appelé moderniste juste vers 1933) est présent en Aquitaine, dès 1926.

La cité Frugès de Pessac apporte la véritable révolution architecturale à Bordeaux, en ce début du XXe siècle. La moitié (51 logements) du projet initial va être construite avec quatre types de logements différents mélangeant des maisons individuelles et des logements en maisons doubles mitoyennes et une véritable petite barre d’immeubles collectifs avec des appartements. Ces constructions ont toujours aujourd’hui un aspect ultra moderne lorsqu’on s’y promène, alors que le centenaire (en 2026) se prépare. C’est la forme des éléments extérieurs tels les escaliers, les ouvertures en fenêtre bandeau avec huisserie métallique fine qui animent les façades ainsi que les couleurs variées des murs soigneusement choisis par l’architecte. D’où l’appellation parfois de style fonctionnaliste car leur aspect extérieur est seulement lié à la fonction d’habiter.

Les entreprises de travaux publics bordelaises n’étaient pas encore capables de travailler sur le béton liquide moulé en coffrage et il a fallu faire appel à des entreprises extérieures étrangères. Ce déficit de compétence des entreprises bordelaises avec les nouvelles techniques autour du béton coulé liquide dans des coffres, va se renouveler quelques années plus tard pour le stade de Lescure (1938).

Au début, il y a eu un véritable rejet populaire des innovations architecturales proposées par Le Corbusier. Les ouvriers ne se sont pas bousculés pour emménager ici et les habitants ont multiplié, année après année, diverses modifications du plan d’origine, aboutissant parfois à le dénaturer : les pilotis du rez-de-chaussée qui ont été murés, les fenêtres modifiées, les appentis divers ajoutés, les toits en pente ajoutés au-dessus des terrasses… Un peu comme un rejet populaire de cette modernité radicale.

De plus, ici aussi, le béton vieillissait mal avec oxydation des armatures. Aujourd’hui encore certaines maisons, mal ou non entretenues, témoignent un peu tragiquement de l’obligation de les entretenir régulièrement.

La mairie de Pessac est intervenue depuis trente ans pour protéger son joyau reconnu tardivement. Elle suggère aux propriétaires de rétablir l’état d’origine en enlevant les constructions parasites. De revenir aux couleurs voulues par le Corbusier. Un classement Monument Historique partiel puis total a modifié le regard de tous, depuis les débuts de 2000, sur ce quartier ouvrier tellement innovant. Elle a racheté et transformé en musée, un des bâtiments permettant de visiter un intérieur.

Un article plus complet sur ce site permettra bientôt de mieux découvrir cette cité d’exception.

Ces maisons, bientôt centenaires, lorsque bien entretenues, paraissent toujours aussi modernes

Elles ont retrouvé leurs couleurs d’origine

Le Corbusier, en personne, veille sur la pièce à vivre de la maison transformée en musée

La maison Perusat 1931

Le ferronier d’art bordelais Pierre Perusat a visité l’exposition dite des Arts décoratifs et industriels de 1925, et a été séduit lui aussi, par les théories de le Corbusier exposées dans le « pavillon de l’esprit nouveau ». Il va décider de construire pour lui même une maison en suivant strictement ce qu’il avait découvert à Paris. La maison bien cubique, tout béton sur 9 pilotis, sans la moindre décoration ajoutée, avec un toit-terrasse plat accessible par un escalier extérieur (comme à la maison Frugès), fenêtres bandeaux avec huisserie fine métallique, est du pur Le Corbusier dans l’esprit, mais sans aucune participation matérielle de l’architecte. Pierre Perusat va aller encore plus loin en aménageant l’intérieur de cette maison avec sa propre production de meubles avec des tubes métalliques à la mode à l’époque (Brandt, Perriand, Prouvé). Le professeur Robert Coustet conclut ainsi « par le radicalisme avec lequel furent appliqués à peu près tous les principes de Le Corbusier ainsi que par le modernisme décidé du mobilier, la maison Perusat (aujourd’hui partiellement dénaturée) constitue un exemple particulièrement représentatif de la tendance du fonctionnalisme international d’autant plus exceptionnel qu’elle fut, par ailleurs, totalement étrangère à l’esprit bordelais. »

L’esprit bordelais, grâce aux propriétaires successifs s’est bien vengé depuis puisque la maison a maintenant perdu de son coté révolutionnaire, à cause des transformations subies.

Etat d’origine de la maison Pérusat à Caudéran.

Le quartier autour du stade de Lescure (1920-1940)

Ce quartier comporte environ 315 maisons. Il correspond à la vente des 17 derniers hectares de terres agricoles du château Lescure, par la famille Johnston propriétaire par mariage depuis le début du XIXe siècle.

Les futurs propriétaires avaient le choix du style extérieur de leur maison et le début du lotissement sera entièrement construit en style éclectique. Les Bordelais restent fidèles a leur passé prestigieux et peu sensibles aux nouveautés, et ne sont pas pressés d’innover… Ce n’est qu’à partir de 1925-27 que quelques audacieux choisiront un autre style, l’Art déco pour leur future maison et un seul propriétaire choisira ici le style international. À partir seulement de 1930-35, toutes les maisons nouvelles seront construites en style Art déco puis en style paquebot qui est son évolution (avec disparition presque totale de la décoration). Il y a seulement 115 maisons Art déco sur 315 dans le quartier, ce qui permet de bien appréhender ce nouveau style sans beaucoup marcher.

Voir article plus complet et illustré sur Lescure, ailleurs sur notre site avec plan de balade découverte commentée du quartier. À Lescure, entre le stade de style international et le quartier partiellement Art déco avoisinant, les deux styles nouveaux du début du XXe siècle sont très accessibles aux curieux. Il manque juste des visites spécifiques de l’Office du tourisme sur l’architecture début du XXe siècle que l’on supplée lors des Journées du patrimoine ou sur demande qui est est bien là.

Rue du Commandant Charcot

Ce lotissement de 1934 a ceci de particulier qu’il a été construit à la place d’anciens chais de la société viticole de la famille Johnston (celle du château Lescure). Ces chais souterrains en pierre existent toujours sous les maisons et ont dû être transformés par des murs ou des grilles pour en faire des caves individuelles. Toute la rue est de style Art déco. Les futurs propriétaires choisissant un architecte ou un entrepreneur pour construire. Il serait souhaitable qu’un habitant de cette rue puisse en développer, ici, l’histoire.

Rue Jean-Soula

Le haut de la rue Jean-Soula (à partir du numéro 100) présente le même intérêt que le quartier Lescure, deux architectures se font face, ce qui permet de les comparer facilement. Ici les numéros pairs sont de style Art déco et impairs de style éclectique.

Cette maison, rue Jean-Soula, coche tous les critères du style Art déco, avec en plus une pergola sommitale.

Toujours rue Jean-Soula, la maison des têtes.

Juste en face une maison éclectique avec sa curiosité est un chat perché

Cet inventaire est forcement incomplet, nous allons le compléter, si nous le pouvons. Par exemple l’avenue de la République et les rues adjacentes sont riches en maisons de style Art déco, ou au Bouscat le long du parc bordelais. Mais il serait souhaitable que des personnes intéressées par le sujet y participent en enrichissant notre inventaire par leurs commentaires sur leur quartier. Le site est ouvert à des participations…