À Espelette (64), une intrigante tombe Art déco
Cette tombe à Espelette, est un ovni Art déco à la mémoire d’une très belle jeune femme décédée à 26 ans. Version XX ème siècle, sans Schubert, de la jeune fille et la mort.
Cette tombe inhabituelle, collée au chevet de l’église Saint Vincent, attire l’attention des vivants de passage vers une histoire humaine poignante. La mère éplorée de la jeune fille « douce et jolie » a parfaitement réussi son coup : un siècle après, la mémoire de cette jeune femme n’est pas oubliée grâce à son beau monument typé qui appelle à en savoir plus sur cette histoire humaine.
Agnès Souret est née le 21 janvier 1902 à Bayonne, de père inconnu bien que… breton et d’une mère, Marguerite Souret qui fut danseuse classique à l’Opéra de Monte-Carlo.
Le 10 mai 1920, à tout juste 18 ans, Agnès sera élue » la plus belle femme de France » dans le tout premier concours du genre, ancêtre de nos Miss France. Ce concours est organisé par le journaliste Maurice de Waleffe avec le quotidien « Le Journal ». Ce journaliste écrira juste après la fin de guerre de 14-18 : « Nous avons montré nos poilus. Nous montrerons nos roses. Quand un rosier produit de pareilles fleurs, il est vivace ». Les spectateurs des salles de cinéma votaient, à l’entracte, après une présentation des candidates à l’écran. Agnès Souret sera finalement élue, en trois étapes successives comme aujourd’hui, entre 2063 candidates, par 114 994 voix sur 234 757 votes exprimés. Un vrai plébiscite pour la toute jeune Basque. Elle va gagner 4000 francs (3000€) mais surtout la notoriété au tout début des « années folles ».
Si internet est fiable, cette belle photo serait une de celles utilisées pour le concours. Mais la toute première photo envoyée par Agnès pour ce concours, la représentait en… communiante, avec au verso le commentaire suivant: « J’ai 17 ans, dites moi si je dois traverser la France pour courir ma chance ». Les couleurs pastel lui donnent l’aspect velouté d’un autochrome Lumière. Notre belle Espeletard (pas de féminin en basque) a tout juste 18 ans. Cette photo qui date de plus d’un siècle, est pourtant étrangement moderne: prise en pied de trois quarts. Majestueuse chevelure dont la disposition passerait bien aujourd’hui. Photo sensuelle avec les épaules dénudées et la poitrine très bien mise en avant par un vêtement ajusté. La belle Agnès n’est pas très souriante ici ni sur la plupart de ses photos. Est-ce que l’exercice de la pose est trop inhabituel pour elle, pour qu’elle soit détendue?
Voici d’autres photos d’Agnès trouvées sur internet.
Agnès à Ederrena?, la maison d’Espelette, offerte à sa mère avec ses cachets.
La jeune fille passe d’un seul coup d’une vie familiale rangée au Pays basque, à une notoriété nationale. Les portes s’ouvrent naturellement à « la plus belle femme de France ». La jeune basque, couronnée à 18 ans , débarque à Paris en 1920. Elle découvre le Paris bouillonnant du début des années folles. Montparnasse est devenu le « nombril du monde » avec ses brasseries. Les clubs de jazz fleurissent et sont animés par les soldats américains démobilisés qui introduisent cette nouvelle nouvelle musique et de nouvelles danses. Bientôt Joséphine Baker sera accompagnée sur scène par Sydney Bechet. Les bals masqués se multiplient. La radio apparait. La mode change (Poiret, Chanel). La société se lache après les restrictions de la guerre vers plus de liberté et d’individualisme. L’Art Déco succède à l’Art Nouveau. On lui propose immédiatement des rôles cinématographiques (évidemment muets), trois films au total. Puis au théâtre dans des tournées et des revues. On la remarque comme danseuse à l’Opéra de Monte-Carlo (comme sa mère, mais était elle danseuse ? figurante ? plus probablement meneuse puis aux Folies Bergères (ou elle se promènera, dans une nacelle fleurie au dessus des spectateurs). Elle aura un petit succès, gagnera correctement sa vie puisqu’elle achètera une maison pour sa mère à Espelette. À noter même un emploi (mannequin?) dans la mode chez Madeleine et Madeleine.
De 1920 à 1928, elle va être un peu exhibée, comme nos lauréates actuelles. Au départ elle souhaitait faire « du théâtre comme Sarah Bernard »…Ses ambitions vont être confrontées à la réalité. Elle vivra assez mal son passage à Paris. Elle aurait dit « ne plus vouloir livrer les splendeurs de mon architecture aux lunettes cosmopolites« . Cette phrase -connotée et d’une tournure curieuse- ne correspond pas à son caractère que tout le monde décrit comme doux, aimable, heureux. Loin des caprices et des humeurs versatiles prêtées aux célébrités. Il semble que la vie parisienne de l’époque ne correspondait pas à ce qu’elle désirait vivre et est restée en retrait, à l’écart du théâtre permanent parisien. Comme Gala et autres restaient à inventer à l’époque, nous n’avons aucune mention d’amour, d’amourette, de flirt la concernant et notre voyeurisme est évidemment un peu frustré…Mais en fait nous ne savons pas grand chose des six dernières années de sa courte vie. Elle abandonnait facilement Paris pour des allers retours dans le pays basque ou elle se passionnait pour l’équitation.
Lors d’une tournée en Argentine, Agnès va malheureusement être victime d’une appendicite puis d’une péritonite au pronostic mortel à cette époque avant la découverte, pourtant imminente, des antibiotiques. Elle va mourir le 30 septembre 1928 à Buenos Ayres.
Le médecin que je suis, ne peut que rapprocher ce décès par péritonite avec la découverte de la pénicilline par le professeur anglais Alexander Fleming, le 3 septembre 1928, tout juste quatre semaines avant la mort d’Agnès Souret. Cette pénicilline aurait certainement guéri la belle Basque, mais si Fleming avait aussi découvert la propriété extraordinaire de cette moisissure. Ce n’est que vers 1939 qu’un Américain découvrira son action antibiotique, qui est de tuer les microbes. S’en suivra une rapide diffusion mondiale. Les péritonites ont alors quitté lentement le chapitre des maladies mortelles.
Cette histoire d’une très belle jeune fille fauchée à l’âge de 26 ans alors que sa beauté et un concours l’avaient distinguée, a tout pour faire pleurer Margot.
Beaucoup de journaux à sa mort vont souligner le décalage entre la personnalité sage et réservée et le milieu dans lequel elle a dû vivre depuis son sacre de 1920.
Mais la suite va intéresser plutôt les amateurs d’art.
La mère éplorée, Marguerite Souret, va faire rapatrier le corps depuis l’Argentine pour l’enterrer à Espelette. Pour le moment, nous ne disposons pas d’archives avec les réflexions ou pensées de la maman concernant la tombe de sa fille. Nous ne savons pas qui a été le ou la décisionnaire de l’architecture d’une tombe qui va finalement s’éloigner beaucoup de ce qui se faisait dans le village ou la région à l’époque. Comment un architecte aussi réputé à l’époque que Benjamin Gomez qui avec son frère, a construit une multitude de villas et de bâtiments prestigieux dans la région (ex le casino monumental d’Hossegor avec sa piscine), est arrivé sur ce projet de tombe? En dehors de celles des personnages célèbres, les tombes ne sont généralement pas l’objet de concours architecturaux. Il y a très peu de tombes classées monuments historiques (hors célébrités) et encore moins de tombes Art déco. Pour perpétuer efficacement la mémoire de la très belle Agnès , quelqu’un va concevoir de faire réaliser une tombe exceptionnelle elle aussi. Qui dit architecte célèbre dit honoraires élevés et Marguerite, la maman, va alors vendre la villa Ederrena (« la plus belle« ) à Espelette offerte par sa fille. Nous pensons que c’est le recours à l’ architecte Gomez qui a associé les autres noms d’artistes célèbres à la construction de cette tombe. Les architectes travaillant avec des équipes d’artisans ou d’artistes, presque toujours les mêmes. Il parait très probable et logique que ce soit la maman Marguerite Souret (1881-1967 enterrée ici aussi), celle qui a financé la tombe, qui a été à l’origine des choix esthétiques et architecturaux de cette tombe?
Mais nous n’en sommes pas sûr. Est-ce venu des connaissances artistiques personnelles de la mère et son passé de danseuse classique, à Monte-Carlo plaide en ce sens, ce qui lui aurait donné une connaissance artistique personnelle des styles et de celui-là en particulier ? Est-ce l’architecte Benjamin Gomez qui a proposé à Marguerite un style dont il était familier et un chantre ? Le résultat est cette tombe, qui ne ressemble pas aux autres dans ses matériaux, dans son style, dans sa forme et dans les signatures prestigieuses présentes. Cette exception est en marbre rose (pas en pierre locale) en forme de petit édicule surmonté par un vitrail en forme de croix enchâssé dans un toit. Croix très géométrique, très colorée, très Art déco. Non signée, elle est attribuée à l’atelier Mauméjean par le vitrailliste et son tout récent restaurateur: Gérald Franzetti.
La forme de cette tombe est du pur Benjamin Gomez.
l’architecte Gomez aime bien transformer l’extrémité des murs latéraux en pseudo-piliers arrondis avec en haut une bague en méplat Art déco à la façon d’ un pseudo-chapiteau. On remarque aussi l’entablement débordant très temple classique avec biglyphes ici à gauche. C’est la porte des Douanes de Bayonne.
Un autre grand nom artistique basco-landais va intervenir sur cette tombe: le sculpteur Lucien Danglade. À partir d’une photo, il va réaliser un portrait en marbre et en méplat extrêmement ressemblant.
La maman va ajouter une courte, belle, et poignante épitaphe qui rend encore plus particulière cette tombe.
« À ma fille douce et jolie, elle fut une petite rose sans épine ». On remarque la calligraphie particulière, très habituelle à l’Art déco. Ici les lettres ne sont pas gravées, c’est l’intervalle entre, qui l’est. On remarque que la tombe est un caveau familial avec la grand mère et la mère d’Agnès qui y a rejoint sa fille en 1967.
La plus belle femme de France en 1920 est morte en pleine jeunesse. Sa mère, d’elle même ou sur conseils, a su réaliser une tombe qui est une œuvre d’art Art déco inhabituelle dans un cimetière. Mais il reste un chapitre à écrire : comment Espelette a évité l’oubli de cette belle et triste histoire d’il y a un siècle .
Le mérite en revient aux maires successifs d’Espelette.
Andde Darraidou (1946-2019) fut le maire très actif d’Espelette de 1989 à 2006. Et il a collectionné différentes casquettes, jugez-en. D’abord il représentait la quatrième génération de restaurateur-hôtelier dans l’hôtel-restaurant Euzkadi en plein centre d’Espelette. L’hôtel aux piments en façade toujours photographié. Cette seule activité suffirait à beaucoup. Il a eu aussi une vaste activité politique au Pays basque. Essentiellement pour illustrer la basquitude à travers des associations. Il a fait classer le piment d’Espelette en AOP en 2000. Il a tiré de l’oubli les espeletard Agnès Souret et le Père David, ce dernier, au XIXe siècle, a décrit le panda géant chinois pour la première fois. Il a crée un petit musée en mairie autour de ces deux célébrités locales. Lui, enfant, avait repéré la « tombe rose » à coté de l’église et il la nettoyait, et la fleurissait avec des fleurs des champs parce que l’enfant la trouvait belle, bien avant d’en connaitre l’histoire.
En 2006 il fera inscrire aux Monuments historiques cette tombe d’Agnès qui ne le laissait pas indifférent. J’ai repéré sur une revue Le Festin de 2007, l’inscription Monuments Historiques de cette tombe. Et une tombe classée pour sa valeur artistique Art déco, c’est loin d’être banal. Je n’en connais pas d’autre. Je suis venu la voir et j’ai pris contact avec la mairie d’Espelette. Le maire m’a répondu avec beaucoup de chaleur et nous avons commencé douze ans de relations surtout épistolaires et quelques rencontres physiques. La tombe, abandonnée depuis 1967, car sans famille connue, était devenue avec les années très sale et dégradée. Le vitrail, recouvert par une feuille de plomb n’était plus visible. Le marbre avait perdu sa patine rose, des infiltrations d’eau salissaient l’ensemble. Avec Andde, nous avons envisagé des plans de restauration de la tombe et pris contact avec l’architecte des Bâtiments de France. Cette restauration paraissait faisable mais la maladie de Monsieur Darraidou n’a pas permis de la poursuivre. Le guide basque Jérôme Zapata, touché à son tour par l’histoire d’Agnès, a su reprendre le flambeau et être plus efficace que nous, grâce à l’actuelle municipalité d’Espelette dirigée par Jean-Marie Iputcha. La restauration de cette tombe en déshérence sera votée en janvier 2023. Pour un total de 22000€. Le travail sera effectué à la fin de l’été 2023 par les Compagnons de France pour le nettoyage et le rejointage de la tombe et par Mr Gerald Franzetti pour le vitrail qui a été mis en sandwich entre deux plaques de verre pour lui rendre sa transparence et assurer sa conservation, ce qui lui permet d’ éclairer à nouveau cette tombe comme voulu en 1928.
Cumulard, André Daraidou l’était, puisqu’il ajoutera une casquette de conteur. Il savait raconter l’histoire d’Agnès Souret comme personne. Je crois me souvenir qu’il nous a dit que son père, lui aussi maire d’Espelette, avait connu la maman, Marguerite Souret. La photo de droite date de juin 2018 avec notre groupe qui est captivé par sa façon de refaire vivre Agnès.
Avant restauration. Et après restauration. Merci au conseil municipal d’Espelette de son investissement patrimonial!
Pour finir, Espelette a la chance de posséder trois monuments historiques autour de l’église Saint-Étienne. À gauche, les 89 tombes basques très anciennes, discoïdales ou pas, au centre l’église Saint-Étienne qui est un bijou baroque, avec en interne, une dominante de lambris jaune/vert pas banale et avec son chemin de croix moderne et, vers la droite, contre le chevet de l’église, la tombe Art déco d’Agnès. Un panneau explicatif de cette émouvante et intrigante histoire va être installé par la mairie au niveau de la tombe.